Critique : Jodorowsky’s Dune

Avant Star Wars. Avant Alien. Avant la vague de space opera qui envahirent les écrans dès la fin des années 70, la rumeur était prégnante chez les fans de genre : celle que ce cinglé d’Alejandro Jodorowsky, épaulé par Michel Seydoux, comptait réaliser une adaptation plus que libre de l’oeuvre de Frank Herbert, Dune.
Comme vous le savez, l’opération échoua à peu de choses, laissant sur le carreau bon nombre d’artistes qui essaimeront des films considérés aujourd’hui comme des classiques, laissant derrière eux cet ancêtre commun que fut le projet fou de Jodorowsky
Du moins jusqu’à ce que Frank Pavich réunisse assez de matériel et de finances pour nous proposer cet excellent documentaire, en sus des quelques sites internet dévoués au culte et au rares articles de presse étant revenu à l’époque sur le phénomène, dont un plutôt prolixe dans les colonnes de Métal Hurlant.
Jodorowsky’s Dune revient sur la création du projet et son chemin jusqu’à l’échec, une vraie croisade ne tenant que sur la foi de ses initiateurs, Jodo en tête, réunissant autour de lui ses “guerriers” que furent Moebius (qui a dessiné tout le storyboard), le peintre Chris Foss, l’artiste H.R. Giger, le technicien des effets spéciaux Dan O’Bannon afin de poser la conception visuelle de ce qui aurait été le space opéra d’une génération.
Je crois qu’on voudrait tous pouvoir compulser cette bible.

Se basant sur le storyboard de Moebius, Pavich entrecoupe les entretiens des différents intervenants avec des séquences animées des dessins de Giraud, permettant d’évoquer la folie qu’avait conceptualisé Jodorowsky, entre séquences que l’on croirait issue d’un John Boorman en pleine période hallucinée et d’autre complètement épiques, où les Pink Floyd, Peter Gabriel ou encore Magma aurait rythmé les plans dans une parfaite synthèse de l’époque.

Côté casting, si le projet vous a rendu curieux ces dix dernières années, vous en connaîtrez les principales anecdotes et c’est pourquoi je ne m’épancherais pas trop afin  de laisser aux profanes la joie de les découvrir à la vision du documentaire. Il suffit de lister certains noms qui avaient signé : Dali, Orson Welles, Mick Jagger

Dune aurait eu un casting incroyable. Dune aurait été fou. Trop pour les studios américains qui l’on tous refusé, laissant se créer un trou noir aspirant tous les talents ayant contribué au projet afin de les digérer au sein du système hollywoodien et de nous produire de manière éparse les enfants de ce monstre, dont le succès dans les salles n’aurait d’ailleurs pas été garanti vu la folie de son initiateur. 

Un initiateur qui ne s’est pas dérangé une seconde pour transformer son Dune et en faire d’autres histoire en collaboration avec Moebius notamment, via les aventures de l’Incal ou plus près de nous, les castes des Métabarons pour ne citer que ces deux-là. 

Ne se concentrant pas uniquement sur le projet mais aussi sur son héritage, il est intéressant d’y voir parler des cinéastes qui ont été influencés par l’homme et son projet, comme Nicolas Winding Refn ou Richard Stanley, ainsi que des critiques de film, comme Devin Faraci, qui parlent de cet héritage dans la culture populaire et le cinéma de divertissement actuel. 
Pour terminer, il est amusant de constater, au détour de l’évocation du Dune de David Lynch, cette malice et cette jubilation tout à fait humaine dont fait preuve le vieux Jodorowsky lorsqu’il balance, face caméra, “vous l’avez vu, c’était nul ! J’étais ravi !” comme une preuve de victoire que lui seul, du haut de sa folie très lyrique et un brin mégalomane, aurait pu mener un tel projet vers le succès.

La vison du documentaire, outre ces visions incroyables données par le truchement des très belles animatiques, reste fortement conseillé pour constater qu’hier comme aujourd’hui, créer un univers reste une bataille féroce plus souvent perdue que gagnée. Et si le film était né ? Quel aurait été son influence sur le cinéma de divertissement moderne ? 

Hélas, cette histoire n’existe que dans d’autres univers. 


■ Jodorowsky’s Dune   ■ Sorti le 16/03/2016   ■ Réalisé par Frank Pavich  
■ Avec Alejandro Jodorowsky, Michel Seydoux, Chris Foss, H.R. Giger…  
■ Durée : 90 minutes