Une pluie sans fin

C’était une des attentes de ce caniculaire mois de juillet : Une pluie sans fin, réalisé par Dong Yue, est enfin sorti sur les écrans français. Prêt à plonger dans la noirceur de ce thriller prolétaire ? C’est parti.

« 1997. À quelques mois de la rétrocession de Hong-Kong, la Chine va vivre de grands changements… Yu Guowei, le chef de la sécurité d’une vieille usine, dans le Sud du pays, enquête sur une série de meurtres commis sur des jeunes femmes. Alors que la police piétine, cette enquête va très vite devenir une véritable obsession pour Yu… puis sa raison de vivre. »

Y a-t-il plus compliqué qu’un premier long-métrage ? Peut-être bien le premier long-métrage d’un chef opérateur, et ce moment où on passe de l’esthétique même du cadre à tout le reste, une tâche que  Dong Yue n’a pas pris à la légère.

Aidé dans l’ouvrage par Duan Yihong, tête d’affiche brillante en agent de sécurité qui prend sa tâche très sérieusement, Une pluie sans fin présente une Chine communiste à bout de souffle, prête à entamer un virage post-industriel aux portes de la rétrocession de Hong-Kong.

Également écrit par Dong Yue, le récit du film s’emboîte en réalité dans un long flash-back qui voit notre héros se souvenir de l’époque où il a tenté d’aider la police et de traquer le tueur, dans des enchaînements qui sont parfois étranges, parfois abrupts, laissant penser que notre narrateur même n’est pas si fiable qu’il en a l’air, comme l’indique la séquence de remise des prix qui aurait eu lieu en 1997 et sa réfutation par un ancien ouvrier croisé en 2008…

Les souvenirs de « détective Yu », comme le surnomment ses collègues, hantent les squelettes de métal des anciennes usines, à nouveau témoins muets de cette poursuite démesurément longue entre Yu, son jeune adjoint et un suspect que l’on devine être le tueur.

Après une mort accidentelle et la fermeture de son usine Yu tombe dans une spirale malsaine, se substituant de manière durable à une police qui ne veut pas de lui, si ce n’est lui parler par l’intermédiaire du vieux chef Zhang, vieux monolithe fatigué au visage tout autant magnifié par l’esthétique des cadres que ceux des autres acteurs.

L’obsessif Yu trouve en la fragile prostituée Yizan (incroyable Yiyan Jiang) un ancrage dans le réel qui se révèle tout aussi faux que son choix d’un coupable, aux conséquences désastreuses. C’est la preuve par l’exemple de sa déchéance morale, comme si toute cette pluie qui tombe durant le film, salissant les vivants et effaçant les preuves autour des victimes, l’avait lui-même contaminé.

La chute du film, à la fois cruelle, surprenante et attendue, voit aussi la destruction des usines où ont eu lieu l’action, achevant de faire de cette histoire un rêve n’ayant jamais eu lieu, et des personnages des silhouettes dans la masse du peuple chinois vu comme un fantasme aujourd’hui bien dépassé. Les doubles niveaux de lectures sont nombreux dans ce film qui statue sans fard sur la situation politique et économique chinoise tout en ayant passé la censure relève du génie tant les multiples lectures sont présentes.

C’est donc un véritable coup de maître pour Dong Yue, qui fournit ici un des thrillers les plus sombres vu au cinéma depuis Sunrise de Partho Sen-Gupta. Hautement recommandé !


■ Une pluie sans fin  ■ Réalisé par Dong Yue  ■  Sortie française le 25/07/2018 ■ Durée : 119 minutes   ■ Avec Duan Yihong, Yiyan Jiang, Du Yuan…