Militarisation, secrets et futur dans la fiction d’anticipation

Le sujet de cet article m’est venu à la lecture de cette citation de Jim Gourley reprise sur Super Punch. Elle peut paraître évidente, mais elle met en lumière le problème de l’opacité de ce qui se trame dans les entrailles de l’Armée américaine.

Nous sommes en train de faire évoluer l’armée vers une force humaine qui entretient des rapports entre civils et militaires et doté d’une infrastructure travaillant avec un plus petit groupe dit de « tueurs d’élite », constitué de forces spéciales, d’informateurs et d’unités de drones qui agissent dans l’ombre sans rendre de compte, ni même la supervision de la société civile alors que c’est celle-ci qui est supposée la contrôler. Nous en savons de moins en moins sur ce que l’armée fait, mais la partie vraiment troublante est que nous nous en accommodons.


Des propos peu rassurants qui sont toutefois souvent abordés dans le cadre de la fiction, actuelle ou d’anticipation. Ce qui peut chiffonner, c’est de constater à quel point certaines histoires fantasment sur cette base pour finir par nous faire accepter implicitement et naturellement des agissements qui sont contre la nature même d’une société démocratique. 

Partons d’un film d’aventures somme toute assez innocent comme le StarGate de Roland Emmerich.

Si vous vous souvenez du film, on y retrouve une partie de la citation ci-dessous, bien sûr enrobée des thèmes de prédilection du réalisateur : antimilitarisme, héroïsme des civils avec toute fois une arrière-pensée bien américaine sur le premier amendement puisqu’ultimement, le colonel laisse aux gamins les armes à feu, signe implicite d’un transfert de valeurs qui nous fait tiquer en tant qu’européens.

Le film nous dépeint, certes de manière assez caricaturale (conspirationnisme oblige) ces militaires qui chapeautent le programme de la porte des étoiles, tirant les ficelles des gentils scientifiques qui tardent à comprendre qu’ils sont les dindons de la farce dès l’ouverture de ladite porte.

Contrairement à la série télévisée. Ah, cette série.

Elle se permet tout de même de trahir les bases du film en faisant de ces mêmes militaires des gens certes sympathiques, mais qui ont raison de faire ce qu’ils font, raison de cacher à la société civile que la porte peut permettre de tisser des liens avec une multitude au-delà des étoiles, à l’opposée d’une série comme Star Trek par exemple.

StarGate SG-1 est par ailleurs un revamp de cette dernière avec une belle lampée de Robert Heinlein, car les civils n’y sont que rarement dépeints de manière positive, favorisant cette culture du secret sur la porte, légitimant l’utilisation des nouvelles technologies d’abord appliquées à l’armement ou à la défense, ce dernier détail étant évidemment justifié par la présence de menaces toujours plus grandes pour l’humanité.

Sans parler que pour justifier de tels agissements, on nous démontre que les Russes (de grands défenseurs de la démocratie) font exactement la même chose de leur côté avec la porte qu’ils ont déterré…

La vie de SG-1 ayant été longue, les scénaristes ont eu le temps de nous faire accepter ce système comme absolument légitime, tout en lâchant du lest en “outant” le programme publiquement au bout d’un moment, ne se privant de montrer toutes les conséquences négatives et comment tout était simple avant ça : prise en main par l’ONU, gestion chaotique du système administratif, etc.

On peut d’ailleurs rapprocher l’infléchissement du personnage du doc Jackson, pur intellectuel dans le film et devenant comme le reste de l’équipe une baraque qui utilise une mitraillette quand le besoin s’en fait sentir, en complète contradiction avec le personnage original.

Si StarGate Atlantispoursuit dans le même contexte, la description très militarisée de la conquête spatiale est depuis longtemps acceptée comme un fait normal, les civils passant après la troupe de choc sensée « sécuriser » les installations dont l’humanité se déclare propriétaire (bizarrement jamais de planètes dotées de ressources précieuses où habiteraient des autochtones : le trauma irakien peut-être ? Ou les USA en ont peut-être marre de massacrer des indiens, difficile à dire.)

Pour en revenir à la citation, StarGate SG-1 met en images les considérations et inquiétudes et fait même pire en nous les présentant comme quelque chose d’absolument acceptable à notre époque. Secret, désinformation ? Le bien de tous. Technologie surpuissante armant des appareils non répertoriés ? Le bien de tous on vous dit !

StarGate Universeenfonce encore un peu plus le clou en nous présentant une galerie de personnages, civils comme militaires, coincés sur un vaisseau qu’ils ne peuvent piloter et qui traverse l’univers. Les civils sont complètement montrés comme des animaux intelligents : il faut protéger le cheptel, mais ceux-ci sont forcément chouineurs et fouineurs alors qu’ils sont issus d’un programme de recrutement strict et une fois de plus un secret bien gardé de l’armée.

Le message reste le même : on ne sait pas ce qu’ils font et il semblerait que ça ne nous chatouille pas plus que ça. On retrouve le même sentiment dans la très mauvaise Falling Skies où la relation militaires/civils est très houleuse alors que l’on parle d’un pays où la grande majorité des gens sont armés, intrigant.


Mais cet état de fait se retrouve aussi dans les films de divertissement. La trilogie Transformers est blindée de ce genre de considérations sur la sécurité de l’Etat, une toute puissance de l’armée en ce qui concerne les décisions à prendre (le feu vert du président semble bien accessoire) et un rapport avec les civils réduits à la portion congrue, il est peu aidée par le scénario minimaliste (cachons donc cet artefact secret en ville au milieu de nombreux civils innocents !).

Mais là aussi, l’armée est dépeinte quasi exactement comme dans cette citation en nous présentant de manière publicitaire ce fonctionnement dans certaines séquences d’action, le président étant quant à lui tourné au ridicule et les agences gouvernementales en prennent pour leur grade via la terrible section 7, caricature de la CIA/NSA/etc.

Cette même composante qui sera dissoute au profit du NEST dans le deuxième film, un genre de forces spéciales secrètes agissant sous le contrôle de…l’armée avant d’être aussi dissoute pour que nos héros soient placés directement sous le contrôle du département de la Défense. Contrôle, contrôle…

Rappelons tout de même que l’armée a fait son beurre en aidant à la production des Transformers et en communiquant sur leurs « méthodes » de combats, arguant qu’en situation réelle, ce genre de comportement adopté par leurs soldats serait identique, tout comme les procédures. Ils ont certainement dû être trop heureux de voir que le reste du scénario soit une grosse bouillie scénaristique à leur bénéfice.

Alors même que l’armée a décidé de retirer son soutien à Marvel à cause du traitement trop méfiant/complotiste de l’Agence gouvernementale SHIELD dans The Avengers, l’ironie est appréciable… A moins que la garde nationale n’ait pas eu l’air assez efficace lors de l’invasion extra-terrestre qui signe le climax du film ? 

Or donc, le futur doit-il obligatoirement être militarisé ? La question se pose et l’imagerie trekienne très civile semble de plus en plus être repoussée au profit de la présentation de conflit relié au constat de faire partie d’un monde plus grand, comme on peut le constater dans le récent Star Trek Into Darkness, co-écrit par un adepte du complot, Roberto Orci.

Mais ailleurs encore cette image s’est imposé. Il suffit pour cela de regarder le premier épisode de la série Halo : Forward unto Dawn, sensée nous montrer une Terre un peu plus en paix après les conflits avec l’alliance Covenante  dans le monde futuriste de la saga vidéoludique Halo.

Est-ce bien le cas ? Pas du tout, et ce premier segment m’a plus fait penser au passage de Starship Troopers de Paul Veroheven où le sergent Rico se retrouve devant ses nouvelles troupes, très (trop ?) juvéniles, pour la préparation de son prochain combat. 

On pourrait croire que tout ça n’est que le fruit d’une pensée européenne mais c’est exactement la même méthode de communication qui est utilisée par l’armée française, depuis les spots de publicité à la participation à des films au fond discutable comme le récent Forces Spéciales. Tandis que Joyeux Noël et son histoire pacifiste n’ont eu droit à aucune forme de soutien lors de sa production.

La remarque de Jim Gourley a encore de beaux jours devant elle…