La Grande Aventure Lego®

Clairement la grosse attente de ce mois de février en matière de film d’animation et pour éviter une critique uniquement composée des paroles de “Tout est super génial” par Nicolas, Legophile dans l’âme, j’ai décidé de vous expliquer pourquoi j’ai accroché à ce long-métrage. Attention, ce que vous allez lire contient des SPOILERS inévitables en raison de l’approche plus en profondeur du film.

Réalisé et scénarisé par Phil Lord et Chris Miller, La Grande Aventure Lego® raconte l’histoire d’Emmett, banal ouvrier de chantier vivant dans un monde où il faut suivre les instructions du Président Business et détruire tout ce qui n’est pas parfait (c’est-à-dire non fabriqué à partir d’un plan).

Après une journée de travail bien remplie, Emmett entend du bruit dans les débris d’un chantier récent, tombe dans une crevasse et récupère la Pièce de Résistance. Poursuivi par les sbires du Président et capturé par le bipolaire Bon flic/Méchant flic, il rencontre Cool-Tag, un maître constructeur, qui le sauve et l’emmène jusqu’à Vitruvius, un sage qui en sait beaucoup sur le rôle de la Pièce de Résistance, qui pourrait stopper l’arme ultime de Business, le Kragle (en réalité un tube de colle forte liquide).

La Grande Aventure Lego® se distingue par le fait que l’histoire ne ménage personne : ni Emmett, son personnage principal, ni les autres personnages, ni le spectateur. Notre héros doit encaisser son nouveau statut de Spécial, tout en étant constamment remis en cause par les autres maître constructeurs qui sont ses compagnons de voyage, de Cool-Tag à Vitruvius lui-même.

Lorsqu’ils rejoignent le Pays des Nuages Perchés, ce sont ces capacités créatives qui sont alors mises en doute et le placent dans une apparente situation d’impuissance. Pour lui, tout le défi sera de prouver son utilité et a valeur au cours des différentes péripéties les amenant d’un monde à l’autre. J’ai été désarçonné par cette franchise rafraîchissante que je ne m’attendais pas à trouver dans un film à licence.

Il est agréable de constater que le film ne fait pas semblant et montre frontalement une forme de violence symbolique assez crue par l’intermédiaire de l’univers de Lord Business et de la menace du Kragle qui fixe les personnages dans une immobilité éternelle, empêchant ainsi tout usage ludique de la brique.

Le sort du Bon flic/Méchant flic m’a particulièrement touché, il se fait “dissoudre” son côté gentil par Lord Business en représailles de la fuite de Cool-Tag et Emmett. Même si ce ne sont que des jouets, on est face à un acte d’une cruauté assez radical et effrayant plutôt inattendu dans cet univers, ce qui permet d’avoir de l’empathie pour le personnage.

Le personnage féminin Cool-Tag est quant lui très bien écrit, elle est active et prend part aux décisions importantes tout au long de l’aventure. Elle est la première prétendante au titre de Spécial et le sait, ce qui lui permet de remettre en cause Emmett souvent sans pincettes lorsque le besoin s’en fait. Elle ressort de l’aventure en ayant évoluée au même titre que notre héros. C’est rafraîchissant de voir un personnage féminin traitée avec équité dans un film de grande envergure.

Heureusement cette émotion est contrebalancée par un humour de sale gosse dont le principal représentant est un Batman en roue libre accompagné des invités des autres univers. Le chevalier noir y est l’idiot magnifique, jouant tour à tour de son côté héroïque sombre et de son côté fêtard, on peut rapprocher le traitement de son personnage de celui qui a été fait dans la série animée Batman The Brave and the Bold.

L’univers est aussi ponctué d’un humour absurde et noir que l’on retrouve dans le Pays des Nuages Perchés et dans le Monde du Far West. Dans ce dernier, tout est régi par la posture des cow-boys, ce qui rend l’arrivée de Emmett délicieuse, en contraste total avec ces personnages parodiques pour le moins burnés. Le rire passe aussi par la customisation des objets et des animaux, à l’image du cheval gyrophare du Bon Flic/Méchant Flic et c’est ce qui nous amène à l’humour absurde du Pays des Nuages Perchés.

Dans ce pays où tout délire artistique est permis, Uni-kitty lâche des répliques sans queue ni tête qui surprennent et font plaisir à entendre, par exemple : “Allons dans le chien !”. On peut noter dans ce monde si positif une tonalité d’humour noir, on aperçoit un homme panda en train de jouer au golf avec des têtes coupées. Il est agréable de voir des blagues normalement utilisées dans des séries comme Robot Chicken et Mad dans un film grand public, cela apporte du piment à l’histoire. Et c’est bon quand ça pique !

Les formes abstraites telles que les nuages sont animées par un multitude de briques qui rend l’ensemble dynamique et crédible aux yeux du spectateur. Un travail particulier a été fait par Animal Logic pour respecter les sept points d’articulations des minifigs et la texture des petites briques.

On peut deviner à certains moments l’utilisation de la stop motion mais Lord et Miller ont décidé de garder le mystère là dessus. Il est en effet difficile de distinguer les parties uniquement réalisées en stop motion des parties en numérique, tellement l’univers est riche de détails et d’actions au premier comme à l’arrière plan de l’image.

Le morceau du film qui se détache par sa maîtrise technique est celui de la construction du sous-marin servant à fuir le Pays des Nuages Perchés, dévasté par les sbires de Lord Business. Il relève d’une certaine difficulté, il met en jeu l’élément aquatique (entièrement fait de briques) et la construction simultanée du transport de nos héros. C’est aussi mon moment d’action préféré révélant les personnalités de notre équipe de protagonistes.

Cette folie graphique est porté par une musique électro-pop composée par Mark Mothersbaugh, aussi connu pour son travail sur Tempête de Boulettes de Géantes 1 et 2 ou chez Wes Anderson. L’hymne “Tout est super génial” est juste diaboliquement efficace et polluera votre cerveau pendant des journées entières.

Ce dernier a d’ailleurs été composé en référence aux émissions jeunesse, ce qui n’est pas anodin dans l’univers idéal du Président Business. Ce dernier régit son monde grâce à des concepts et des chansons pop entraînantes idéales pour phagocyter l’esprit…qui a dit dictature du divertissement ?

J’ai malheureusement vu le film en version française, chose qui fut catastrophique pour les personnages principaux comme Emmett et Cool-Tag. Arnaud Ducret et Tal n’ont tout simplement pas assuré, tant dans la conviction que dans la synchronisation labiale de leurs avatars en minifigs (ce qui est un comble).

Heureusement, un certain respect a été apporté pour les personnages de second plan avec l’utilisation des acteurs officiels des interprètes américains. On retrouve donc Benoît Allemane pour Vitruvius (Morgan Freeman), Maurice Decoster pour Lord Business (Will Ferrell), Philippe Valmont pour Batman (Will Arnett) et même une magnifique imitation de Francis Lax (la voix d’Harisson Ford à l’époque de Star Wars) par le doubleur qui s’occupe de Han Solo ! Ces choix intelligents permettent de soutenir la vision du film et de l’apprécier à sa juste valeur.

La fin du film s’ouvre sur la réalité et sur un jeune garçon jouant avec des Lego, qui s’incarne dans la figure d’Emmett en plein délire créatif avec les habitants de la ville. Pendant ce temps, une silhouette descend les escaliers : il s’agit de l’incarnation de Président Business (le coté positif du Lord) en la personne de Will Ferrell, en réalité le père du jeune garçon.

S’ensuit une confrontation entre les créations de l’enfant et la collection figée du père qui débouche sur une entente mutuelle autour du jeu. Certains trouveront cette fin moralisatrice mais le film n’a à aucun moment perdu de sa substance première : une thématique autour de l’amusement et du fun.

Notons-le : sans prescrire de méthode juste, il se détache ainsi du système manichéen souvent présent dans les films d’animation. Le méchant Lord/Président Business s’en trouvera même félicité par Emmett pour ses qualités de Maître Constructeur.

Cette méthode de narration, qui fait office de politique de la terre brûlée de la part du duo de réalisateurs, risque toutefois de poser pas mal de soucis à leur successeur, Chris McKay (ici directeur de l’animation), en charge de réaliser le prochain film…aura-t-on droit au même syndrome ayant touché L’île des Miam-nimaux : Tempête de boulettes géantes 2 ?

Je ne peux que vous encourager à vous rendre dans votre cinéma le plus proche pour voir La Grande Aventure Lego®. Ça me fait mal au c…cœur de vous dire ça mais le film mérite d’être soutenu malgré son doublage français désastreux. Sous son apparence de film trop hypée mettant la brique à l’honneur se cache de l’impertinence et une recherche de sens, ce qui en fait un bon film et c’est tout qui compte !


■ La Grande Aventure Lego® ■ Sorti le 19 février 2014 ■ Réalisé par Chris Miller et Phil Lord ■ Avec les voix de Chris Pratt, Will Ferrell, Elisabeth Banks… ■ Durée : 100 minutes