Cinéma : Spectre

Ce n’est habituellement pas notre habitude de vous fournir une critique aussi vite après la sortie d’un film, mais Spectre se présentait de manière intéressante dans cette année cinématographique 2015, remplie de films live somme toutes assez peu folichons.
Quatrième métrage de l’ère Craig et deuxième réalisation de Sam Mendes, Spectre met aussi largement que stupidement en avant le contenu même de son film, comme si le retour de l’organisation tentaculaire donnerait un autre goût aux aventures de 007, jusqu’ici très inégales. 
Hélas, c’est une impression d’avoir mangé un gâteau trop gros, trop riche et écrasé sous sa garniture qui prévaut à la sortie de la salle. Le film remplit le quota syndical de technique éblouissante, entre courses-poursuites motorisées et voyages autour du monde, se permettant même un plan d’ouverture d’une superbe maîtrise, quoique très gratuite et dénuée de sens dans ce type de film, où ce qui était attendu relève hélas du rideau de fumée. 

Mais ce qui est attendu déçoit, puis-qu’outre son titre évident, Spectre noue laborieusement les films entre eux au long de séquences trop longues et répétitives alors même qu’un seul indice aurait été suffisant, mais non : les personnages en parlent entre eux, des ordinateurs nous montrent les visages des précédents méchants, et l’outing du personnage de Christoph Walz tombe finalement à plat, tant l’idée foireuse de tout faire tourner autour de la figure de Bond ne fait qu’atténuer les enjeux. 
Et il semble que, conscient de l’inanité d’un scénario qui prend plus de temps à justifier tout ce background inutile autour des obligatoires séquences d’action. Quant aux acteurs, ils pataugent dans ce marasme avec renoncement (Craig atteint sans peine le degré d’ennui de Sean Connery), enthousiasme (Dave Bautista est la bonne surprise du film) ou sont l’objet d’un énorme gâchis (Andrew Scott, Christoph Walz, Monica Bellucci). 
Tout ceci est bien sûr dû aux errements du script dont les trous semblent avoir volontairement été mis en valeur par le montage, si ce n’est pas des morceaux de séquences, vu l’épouvantable échange de dialogues entre Madeleine Swann (Léa Seydoux, dans un rôle qui aurait presque pu être digne d’intérêt) et Bond dans un train, dénué de sens et nous présentant les personnages dans une relation cordiale sortie de nulle part. 
Seuls surnagent les survivants du volet précédent, et c’est avec plaisir que l’on retrouve Ralph Fiennes, Ben Whishaw et Naomi Harris pour compléter un film qui se complaît dans l’utilisation de personnages à nouveau « cool » au service d’une intrigue qui se borne à les utiliser comme contrepoint aux actions d’un Bond qui apparaît de plus plus comme Sterling Archer.
Le pardon est d’autant plus difficile à donner au film, car si Quantum of Solace avait été victime en son temps de la grève des scénaristes, ce Spectre a vu pas moins de quatre personnes se pencher sur son cas, aucun n’ayant eu les reins de pointer les difformités de ce qui allait être joué, tourné, monté, mixé, rendant les erreurs ultérieures encore plus flagrantes. 
J’adore le travail de Hoyte Van Hoytema, qui donne ici tout ce qu’il a pour donner une substance à l’image, mais le rendu ne fait que ressortir le manque de contenu et si le goût de Mendes pour la symétrie et la théâtralité fonctionnaient aussi bien dans Skyfall, c’est ici peine perdue, certaines ambiances donnant aux acteurs et actrices de curieux airs de mort-vivants. 
Ajoutez par-dessus ça une cacophonie provoquée par l’affrontement au mixage de la musique poussive de Thomas Newman d’une part, et des très bourrins effets sonores de l’autre, et vous obtenez un mélange dont la transparence et les artifices ruinent toute tentative d’humour ou de décalage qui fonctionnaient si bien dans Skyfall
Si on peut blâmer le monteur du film, Lee Smith, pour son travail qui rend le film lénifiant (dieu que Stuart Baird manque !) je ne suis pas surpris qu’il ait monté le film comme il le fait d’habitude avec celui de son comparse Christopher Nolan, mais Mendes n’est pas Nolan… même si les innombrables dialogues d’une évidence cinglante qui peuplent Spectre pourraient le laisser croire.  
L’on dit souvent que les suites de film portent les outrances et les radicalisations de leurs principaux instigateurs et Spectre, ce géant au pieds d’argiles, vrai Béhémoth fabriqué à partir des ambitions divergentes de tout le petit monde qui gère la franchise, est arrivé à son point de rupture dès la conception : d’où l’accouchement difficile, comme l’ont indiqué à l’époque les nouvelles du tournage. 
Et d’où, au final, le monstre de près de deux heures et demi qui a été projeté sur les écrans, peinant à raconter simplement une mythologie au final bien inutile.   

■ 007 Spectre  ■ Réalisé par Sam Mendes  ■ Sorti le 11 novembre 2015  ■ Avec Daniel Craig, Dave Bautista, Lea Seydoux, Monica Bellucci… ■ 148 minutes