Zack Snyder et Grawr, c’est une histoire curieuse : nous n’avons jamais critiqué un seul de ses films alors même que nous avons vu toute sa filmographie en salles, depuis le mésestimé L’armée des Morts jusqu’au maladroit Man of Steel.
Craignant que Superman n’abuse de sa toute-puissance, le Chevalier noir décide de l’affronter : le monde a-t-il davantage besoin d’un super-héros aux pouvoirs sans limite ou d’un justicier à la force redoutable mais d’origine humaine ? Pendant ce temps-là, une terrible menace se profile à l’horizon.
Avec son adaptation de Superman, une étape avait déjà été franchie alors qu’en est-il de ce film ? D’autant plus que ce dernier souffre du syndrome de Frankenstein, tiraillé entre les velléités esthétiques de Snyder, les besoins pressants de Warner de fonder un univers cinématographique sur le modèle de Marvel et un scénario qui arrive en queue de train, d’autant plus tordu qu’il est écrit par David Goyer (Man of Steel, la trilogie Batman de Nolan) et Chris Terrio (Argo).
Tocard pour certains, génie pour d’autres, Snyder jouit d’une réputation qui rappelle celle de Michael Bay, mais c’est bien là que la comparaison s’arrête, ce dernier se sentant plus concerné par son esthétique de mise en scène que sur la narration, là où Zack possède (jusqu’à maintenant) les rênes du fond et de la forme de ses films.
Ce qui nous donne un Superman singulier, peu bavard et concerné par une humanité qu’il sauve sporadiquement et symboliquement, le temps d’un montage qui voudrait maintenir le statu quo de Man of Steel. On en retient un personnage assez peu héroïque, égoïste et distant, bien loin des itérations cinématographiques précédentes. Le choix créatif de ce nouveau Superman est débattable, mais on a ici un personnage qui n’a pas évolué depuis le film précédent, ou que nul n’a voulu faire évoluer, chacun semblant trop occupé par l’autre héros-titre.
Vu le gâchis thématique que représentait le fils de Krypton, on pouvait avoir toutes les inquiétudes pour l’homme chauve-souris, qui est le réceptacle de toutes les forces de Ben Affleck, prouvant à quel point son casting était une bonne idée pour incarner un justicier facho usé et au bord de l’explosion, dont le paradoxe au sein du film est présenté dès les premières minutes durant lesquelles se succèdent une énième revue des origines et une séquence spectaculaire bâtie sur les ruines du climax plein de destruction porn de Man of Steel.
Hélas, le côté détective tombe à l’eau au profit de ses capacités destructrices, ce qui nous donne un Batman assez débile mais très très efficace en bourrin de la criminalité, qui ressemble à l’idée que l’on peut se faire de Batman quand on a treize ans et que l’on a lu les comics de Frank Miller, qui sont certes une référence mais dont il faudrait apprendre à se passer.
Jesse Eisenberg en Lex Luthor est l’autre ajout qui polarise : il ne m’a pas dérangé outre-mesure et son incertitude dans sa posture était assez intéressante à suivre dans la première partie du film (avant qu’il ne devienne complètement taré pour une raison inconnue), tout comme les intrusions de Diana Prince/Wonder Woman, dont on n’a pas à se demander si elle est aussi bête que ses deux compères vu le peu de temps qui lui est consacré.
On en revient à l’objet en lui-même : Snyder convoque le mythe Batman dès la séquence d’ouverture en mettant en scène une fois de plus le trauma fondateur de Bruce Wayne avant de sauter à la destruction de Metropolis, avant de sauter à… vous aurez compris le principe : le montage ne cesse de faire des sauts de puces, parfois utiles, parfois complètement stupides, surtout quand l’action se retrouve paralysée par une séquence où Diana Prince visionne des vidéos en basse définition sensées teaser les futurs membres de la Justice League.
Si ce procédé fonctionnait dans Watchmen, il n’est ici guère approprié, tout comme la photographie de Larry Fong, qui rend tout trop artificiel, trop sombre, trop toc. Un parti-pris esthétique qui ne fonctionne que dans de rares séquences impliquant toutes Batman. Ce qui laisse le reste du film à l’avenant, blessé comme une bête curieuse dont on peut admirer les entrailles, qui ne sont guère plus attirantes.
Car le script, maladroitement coincé entre l’univers un brin débile posé par David Goyer et la tentative de thriller politique de Chris Terrio, personne ne gagne, surtout après le passage des grosses paluches des costards cravates.
Ceux-ci ont tenu à inclure tout et n’importe quoi concernant la Justice League, rendant le film d’autant plus boiteux car oscillant entre des rêves hallucinés de Bruce Wayne (vaguement divertissants) jamais réellement explicités et une apparition du futur plus que fumeuse, Batman V. Superman : L’Aube de la Justice ressemble à un happening permanent de l’univers DC.
Et on peut continuer encore et encore, notamment à travers la musique de Hans Zimmer et Junkie XL, qui sonne comme une défaite : assourdissant gloubi-boulga thématique coincé entre Man of Steel et quelques occurrences malicieuses qui ne datent pas d’hier pour le compositeur, le reste n’est que rouleaux compresseurs synthétiques d’où ne se détache que le thème en boucle de Wonder Woman, exécuté au violon électrique.
Alors dans ce foutoir, on peut répondre à quelques questions qui se posent, comme “Zack Snyder est-il un auteur ?” : difficile à dire sur ce film-là précisément, tant on sent la présence du studio derrière son travail, mais la vision même des super-héros DC est toute sienne, quelque part coincé entre le fantasme ado du Batman de Miller et un Superman au comble de l’antipathie tout comme ses maniérismes de mise en scène, toujours aussi clinquants.
Egalement en lice : “Est-ce que c’était bien ?” et là, c’est plus délicat. Malgré toutes les lourdeurs du film et son aspect assez vain, j’ai apprécié une bonne partie du film, car certaines séquences, certains acteurs et actrices ont réellement essayé de proposer quelque chose et quelques idées étaient sympathiquement esquissées.
Hélas ces tentatives étaient souvent annihilées dès les scènes suivantes, et c’est une forme de fascination un peu nanarde qui a fini par prendre le dessus, car je peux le dire, on est en face d’un sacré accident assez confus, ce qui lui confère une aura étrange qui peut attirer une forme de compassion cinéphilique, un peu à l’image de certains films de super-héros des 90s qui ne savaient pas poser leurs bases, comme The Shadow ou The Phantom, sauf qu’ici et bien… c’est avec Batman et Superman, ce qui est un peu bizarre.
Au final, Batman V. Superman : L’Aube de la Justice est un très bel exemple de ce que peut produire les cristallisations et convergences des désirs d’un réalisateur et du studio au-dessus de lui, dans une course pour rattraper une concurrence en avance de plusieurs années. Souhaitons que le futur Suicide Squad soit un peu plus équilibré que cette confrontation qui n’en n’était pas une, tout comme le film n’était pas une aube de quoi que ce soit.
■ Batman V. Superman : L’Aube de la Justice ■ Réalisé par Zack Snyder ■ Sorti le 23/02/2016 ■ 151 minutes ■ Avec Henry Cavill, Ben Affleck, Jesse Eisenberg, Gal Gadot…