Billet d’humeur : Saving Mr Banks ? Killing P.L. Travers !


Vous connaissez le topo : d’habitude, on attend un certain temps pour écrire une critique d’un film. Non pas pas que nous soyons lents, mais nous préférons prendre le temps de penser à ce que l’on va écrire. A la sortie de la salle de Saving Mr Banks, Madmoiselle Murieta était si furieuse et avait tellement à dire sur le film que ce qui devait être une critique est devenu un billet d’humeur. Bien sûr, il vaut mieux avoir vu le film pour appréhender ce qui va suivre, et si les spoilers ne vous font pas peur, foncez ! 

Appréciant le film Mary Poppins, j’étais curieuse de voir l’illustration de sa création au travers de Saving Mr Banks, sorti hier. A sa vision, ma déception fut si forte que ma critique initialement prévue se transforme en billet d’humeur. En dehors des accusations de Meryl Streep, en dehors des rumeurs de sexisme sur Walt Disney, je vais vous expliquer ce que j’ai ressenti en me basant uniquement sur le film.

Le film s’ouvre sur l’ancien logo de Walt Disney Pictures et sur les notes de la chanson « Chem-Cheminée », une mise en bouche nostalgique et maline qui s’étendra et servira d’enrobage à tout le pathos du film. Ne vous méprenez pas, je ne reproche rien au matériel original, seulement à l’utilisation abusive de ce dernier, comme une légitimation rétroactive sur ce que vous verrez par la suite, la qualité du film Mary Poppins n’étant plus vraiment discutable aujourd’hui.
Continuons l’histoire, on retrouve P.L. Travers visiblement prise à la gorge financièrement. Son agent la pousse à se rendre en Californie pour rencontrer Walt Disney qui la courtise depuis vingt ans pour les droits d’exploitation cinématographique de Mary Poppins. Ce voyage servira à finaliser le contrat et à travailler l’adaptation du livre en film.

Seulement voilà, à peine Travers pose-t-elle les pieds sur le sol californien qu’elle est assaillie par des flash-backs incessants racontant son enfance rude en Australie. En principe, je n’ai rien contre les souvenirs lorsqu’ils sont utilisés intelligemment mais ici, au fur et à mesure, on découvre qu’il s’agit d’un arc narratif parallèle pour le moins indigeste. On y retrouve un casting de prestige : Colin Farrell en Travers Goff, Ruth Wilson dans le rôle de sa femme Margaret, Rachel Griffith en Tante Ellie… 
Je suis bien consciente que nous sommes dans un mélodrame, un des genres les plus difficiles à maîtriser, dont la romance fait partie du procédé, cependant la rudesse du vécu de l’héroïne qu’est P.L. Travers est hélas emballé dans une esthétique et une réalisation digne de luxueux téléfilms de Noël. Laissez-moi vous que j’ai mal digéré le lait de poule ! Le traitement de l’alcoolisme du papa Goff, très propret, en est le parfait exemple.
Le traitement du personnage du père de P.L. Travers n’est hélas pas le seul souci puisque la suite des événements débouche sur ce qui me chiffonne le plus : le développement des deux fortes personnalités du film que sont Walt Disney et notre héroïne. 
Faisons honneur aux hommes, pour une fois ! Le personnage de Walt Disney est traité de manière avenante et familière, on le découvre par le biais de ses employés qui l’appellent par son prénom, ce qui renforce le quota de sympathie.
L’interprétation servie par Tom Hanks est tellement éclatante qu’elle rendrait jaloux le soleil californien. Cela n’est pas un problème en soi, cela prouve juste qu’il est bon acteur. J’ai remarqué que l’approche du caractère de l’homme à la souris passe par une sobriété de l’image et des révélations succinctes mais touchantes sur ses propres dilemmes créatifs. Je pense notamment à la scène où il confie à Richard Sherman, compositeur des chansons du film, la possible vente de son Mickey lorsqu’il était jeune. 
Les seuls défauts du personnage sont la cigarette et le fait qu’il n’ait pas invité Travers à l’avant- première du film, ce qui est franchement anecdotique en regard du traitement que subit l’auteur de Mary Poppins. 
Cette vision du personnage permet aux Studios Disney de garder la primeur de l’image de Walt Disney en tant qu’homme, avant qu’il ne soit l’objet de nombreux biopics mettant en lumière des aspects plus discutables de sa personnalité. 
Venons-en là où le bas blesse : le traitement du personnage de P.L. Travers. Je vous ais parlé plus haut des flash-backs incessants et dégoulinant de pathos. Voilà tout ce qui sert à justifier le sale caractère de l’auteure et la création de son personnage phare, comme si le fait d’être une femme de conviction n’était pas valable sans cela. Est-ce que cela nous permet de mieux comprendre P.L. Travers ? Non.
Déjà qu’on en peut plus de cet argument débile…Rappelez-moi qui a dit que le cinéma était du mensonge à 24 images par secondes ? Visiblement Disney France ne veut pas vous faire avaler que du sucre !

Je m’explique : si on suit cette logique, tout enfant avec un père difficile et une histoire rude devient écrivain, pourtant l’inverse existe aussi. Prenez Stephen King, il a eu une enfance modeste mais heureuse, ce sont ses déboires de sa vie d’adulte qui auront servi d’inspiration à certains de ses meilleurs de ses romans, notamment Misery

Plus l’intrigue de Saving Mr Banks avançait, plus je voyais tout autant la mise à mort du personnage de P.L Travers que l’auteure elle-même. J’ai trouvé ce développement dévalorisant et insultant, aussi bien pour la femme que pour l’écrivain. On nous la vend comme une enfant désarmée, comme si elle était là, enfermée dans un corps de femme aigrie face à un Walt Disney brillant et visionnaire.
Que s’est-il passé pendant ces trente ans ? Comment a-t-elle créé sa personna de P.L. Travers (qui est un alias) et celui de Mary Poppins ? Vous n’en saurez rien, ce qui est dommageable à la fois pour nous spectateur et pour Emma Thompson, l’excellente interprète de Travers comme Rachel Griffith, qui joue brièvement Tante Ellie « Poppins », une actrice révélée par Six Feet Under et que l’on voit trop peu à mon goût sur grand écran. 
Seuls les moments de discussion avec Ralph (Paul Giamatti), son chauffeur, sont gérés intelligemment et sont plus révélateurs de la personnalité de l’auteure, bien que plus toutes ces réminiscences forcées et lourdaudes nous ramenant en Australie.
 N’oublions pas la principale raison de son voyage : l’adaptation de son livre pour le cinéma. On retrouve des scènes où elle critique le scénario et les chansons ainsi que quelques joutes verbales délicieuses face à Walt Disney, mais cela ne fait pas le poids face à un scénario dont les explications, que l’on croirait tirées de Freud pour les Nuls, tiennent forcément dans l’enfance de l’écrivain. 
Orchestré par un montage d’une mollesse incroyable, les flash-backs mielleux sont partout, au point d’apparaître en pleine séance de travail, cassant l’ambiance et l’intérêt créatif de la scène du cerf volant !
Les frères Sherman et le scénariste Don DaGradi sont les représentants de la créativité au sein de l’adaptation. Ils sont continuellement dépeints avec une assurance et une stature d’enfant prodige servant plus le sentiment d’attachement au film Mary Poppins que l’illustration de leur travail en lui-même, surtout qu’à ce stade personne ne peut deviner le succès du film.

Les chansons ponctuant ce dernier possèdent le même effet que la cuillère de sucre sur le rhume : une saveur agréable mais ici sans véritable intérêt car déviant le spectateur sur le classique. Elles servent de caution nostalgique, essayant tant bien que mal de cacher le carnage scénaristique de Saving Mr Banks

Une couche de saccharose de plus, je deviens diabétique ! 
Avec deux personnalités telles que Walt Disney et P.L. Travers, j’étais en droit d’attendre une confrontation plus authentique et un échange d’idées digne de ce nom. Au lieu de cela, je me suis pris une vague déferlante de mauvais mélodrame humide et je n’ai pas trouvé l’étincelle sur la démarche créative liée au film de Mary Poppins.
Et maintenant, le pompon : rappelez-vous ce qui motive le voyage en Californie de Travers. Ce sont avant tout de gros soucis financiers. Après plusieurs (trois) discussions stériles avec Walt Disney, elle décide de retourner à Londres, lassée par tout cela. Seulement Tom, euh, Walt décide dans un geste chevaleresque de la rejoindre là-bas pour lui servir un discours larmoyant comme quoi il a vu la Cosette enfouie en elle et qu’il est lui aussi un peu Cosette à sa manière, mais qu’il a fait le deuil comme un grand.

C’est donc le bon moment pour lui céder ses droits, on apprend donc que Walt Disney fait psychanalyste à ses heures perdues, ou bien a-t-il envoyé des détectives pécher des informations sur elle. Personne n’est dupe ! Dans ce cas-là, je crois plus au pouvoir ses agents qu’à une quelconque magie Disney.

En conclusion, Saving Mr Banks a surtout le tort d’avoir un postulat de départ très intéressant, mais noyé au sein d’une histoire mélodramatique destinée à faire pleurer les bonnes petites familles, en dépit du respect de base qu’il est nécessaire d’avoir pour parler ici de personnes ayant existé. Un mauvais choix qui détruit le film dès son premier quart d’heure, l’intrigue n’étant pas cousue de fils blancs mais d’un gros cordage de marin, laissant les mécanismes narratifs et les explications vaguement malhonnête du film à la vue de tous. 

Si vous êtes nostalgique du film Mary Poppins, je vous invite donc à vous procurer le blu-ray sorti en même temps que Saving Mr Banks et vous faire une séance canapé. Si vous désirez connaître P.L. Travers, tournez vers ses livres et les biographies à son sujet. C’est le moyen le plus sur de ne pas rester collé dans la mélasse !