Bande dessinée : Cendres

Il y a de ces surprises, qui sont souvent dues au pif inquisiteur et légendaire de Madmoiselle Murieta, dont l’incroyable capacité à dégoter des œuvres perdues au fin fond des bacs à soldes finira certainement par être étudiée dans les départements de sciences sociales des années 3000. Et c’est bien grâce à elle que je vous parle de ce Cendres d’Alvaro Ortiz, dont elle a déniché une première édition chez notre libraire préféré (il a récemment été réédité avec une couverture rigide pour aller de pair avec Murderabilia, sa plus récente publication). 

Cendres raconte donc le périple de trois trentenaires forcés d’honorer une requête inhabituelle de la part d’un ami qu’ils n’ont pas beaucoup vu ces dernières années. Embarqués dans une voiture de location, ils seront confrontés à un signe de cirque, des bikers patibulaires mandatés par un cow-boy gay chanteur de country, et surtout à eux-mêmes, car tout cela est l’occasion de parler de la vie, de la mort et du reste sans y répondre avec facilité par un “42” bien senti. 

Et c’est tout d’abord la précision du découpage d’Ortiz qui saute aux yeux à la lecture de ce volume : si le trait parait simpliste, ce n’est qu’apparence, car celui-ci est au service même de la planche, qui par la multiplication de cases, devient un vrai jeu de lecture, et ce malgré la petitesse de certaines d’entre elles. 

La question du deuil, centrale, fait office de force motrice pour nos héros, qui sont forcé de côtoyer cette absence de leur ami aujourd’hui disparu, un tour de force également visuel puisqu’à aucun moment l’intéressé ne sera montré au fil des pages, comme une évocation de ce qui arrive lorsqu’on perd quelqu’un que l’on apprécie : les traits s’effacent, les souvenirs s’estompent et l’on en vient à discuter la réalité de la personne et du vécu partagé. 
Un aspect d’autant plus renforcé par une mise en couleurs aux tons très doux, très naturels sur lesquels tranchent quelques touches de couleurs plus chaudes et plus contrastées, qui prennent corps dans le personnage d’Andres, le singe de cirque, qui est à la fois un ressort comique et un compagnon d’infortune qui possède ses propres bagages, en plus des intermèdes réguliers sur un sujet que je ne révélerai pas ici. 
L’écriture n’est toutefois pas en reste, autant par la description des personnalités de ce trio d’amis que par l’exploration de leurs névroses, car même s’ils se confrontent les uns aux autres, on n’est jamais tenté de prendre parti pour l’un ou l’autre dans cette histoire ou même les antagonistes relativisent et prennent sur eux de ne pas accomplir une mission qui les désintéresse. 
Cette sympathie, cette humanité transpire dans les défauts des personnages et accompagne avec brillance le trait clair d’Ortiz, qui constitue une belle démonstration de sa maîtrise artistique, car  bon nombre d’artiste se sont déjà cassés les dents sur le même terrain. 
Chose encore plus rare, la temporalité induite est excellente et le découpage en chapitres, non dénué d’humour, car le dessinateur sait profiter de son point de vue omniscient pour faire vivre ses personnages comme il se doit, entre lâcheté et colère, tristesse et consternation : ça peut paraître bête mais tout ces ingrédients usuellement lâchés (souvent de manière anarchique et jusqu’à la nausée) dans les scénarios de très mauvaises comédies dramatiques françaises sont ici déterminant quant à la réussite du récit.    

C’est donc un vrai plaisir que j’ai pris à la lecture de Cendres, que je ne peux que conseiller avant d’entamer celle de Murderabilia !


■ Cendres   ■ Paru le 11 avril 2013   ■ Ecrit et dessiné par Alvaro Ortiz   ■ Paru aux Editions Rackham  ■ 184 pages