Comment créer un script de Regular Show ?

Contrairement à la plupart des séries animées, comme à tout hasard Les Simpson, Les Tortues Ninja ou encore Souvenirs de Gravity Falls, Regular Show est une série dont les scripts ne sont pas vraiment écris de suite, mais storyboardés directement avec une continuité dialoguée.

D’autres séries que vous connaissez utilisent cette méthode, comme par exemple l’excellente Steven Universe, Adventure Time, Clarence, Bob l’éponge ou Sanjay et Craig.

Le principe est donc de faire travailler un binôme de storyboarders qui vont à la fois travailler sur les boards et les dialogues, en s’échangeant les idées afin de constituer un épisode. Evidemment, dit comme ça, tout semble simple.

Mais quelle est la méthode ? Comment le processus se déroule-t-il donc ? La question a été posée à Owen Dennis, storyboarder sur la série, et voici une traduction de sa réponse, agrémentée et explicité par moi-même.

JG Quintel et John Infantino en salle d’écriture.

L’outline

Il y a deux types de scénaristes pour la série. Les premiers sont les “outline writers”. Le groupe est composé de Matt Price, Michele Cavin, John Infantino, Sean Szeles et bien sûr JG Quintel. Ils se rassemblent dans la salle d’écriture et inventent de nouvelles idées d’épisodes qu’ils condensent en une outline, qui raconte et décrit de manière très générale les grands lignes. La méthode de création d’une outline peut différer d’une séance à l’autre, ce qui n’empêche pas JG Quintel d’expliquer l’un des ces procédés :

On écrit des titres sur des petits morceaux de papier, qui peuvent venir de n’importe où. Quelque chose qui sonne bien, une phrase lue sur internet qui nous a fait rire… On jette tout dans un chapeau et chacun tire un papier, le lit et doit écrire un maximum en trois minutes sur ce que ça lui inspire avant de passer à autre chose. On doit avoir au moins 150 idées en stock, toutes plus horribles les unes que les autres et il y en trois ou quatre qui sont vraiment retenues. Après ça, chacun met ce qui a été retenu en forme en un texte de quelques pages sans dialogues 

Elle contient les bases : qui fait quoi, quand, et la plupart du temps le pourquoi et le comment.

L’outline est vraiment importante dans le processus de fabrication, C’est la pierre angulaire de tout l’épisode. Si nous ne recevons pas une bonne outline pourvue d’une arche narrative qui produit du sens, toute la chaîne de création se tend un peu plus et chacun va finir avec bien plus de travail à faire pour compenser.

La structure exacte d’un épisode, véritable feuille de route de chaque outline de la série.

Une outline ressemble a peu près à ça (le texte suivant a été écrit par Dennis pour l’exemple) :

Lors de la réunion du matin, Benson demande à Mordecai et Rigby de changer toutes les ampoules des éclairages du parc, car sinon le public voulant participer au spectacle de lasers du soir ne trouvera pas son chemin. Mordecai et Rigby se plaignent car les spectacles de lasers ne sont pas si terribles.

Benson leur dit qu’ils doivent le faire ce soir car Mr. Maellard sera présent et tout doit être parfait car sinon toutes l’équipe se fera virer.  Mordecai et Rigby utilisent l’échelle pour changer les ampoules. Comme la méthode est trop peu rapide, ils se disent qu’ils peuvent accélérer en faisant en sorte que Rigby porte toutes les ampoules en haut de l’échelle tandis que Mordecai court de lampadaire en lampadaire en levant l’échelle.

Ils le font mais chutent, DIRECTEMENT SUR LE LASER ! Ils doivent le réparer.  Ils l’amènent chez un réparateur de laser mais l’ouvrier leur annonce que type de modèle est trop vieux. Plus personne n’en n’utilise. Le seul endroit où ils pourraient encore en trouver est une vieille décharge de lasers en dehors de la ville. Mais c’est dangereux, car la décharge est tenue par un vieux fou armé d’un laser appelé Carl.

Et ça continue comme ça durant trois pages.

Toute bonne outline de Regular Show finit ainsi.

Vous remarquerez qu’il manque des éléments à cette outline. Comme par exemple la raison de la panne des ampoules : est-ce parce qu’une bande de gamins les ont explosés à coup de lance-pierre ?

Est-ce parce que les ampoules ont été installées il y a 100 ans ou parce que Mr. Maellard était-il trop pingre pour les remplacer ? Est-ce par ce que des insectes se sont assemblés durant des années et ont cramé jusqu’à obstruer leur lumière ? Est-ce vraiment important de savoir pourquoi elles ont brûlé ?

Qui doit savoir ? C’est le travail du storyboarder.

Est-ce que l’on ne peut pas trouver mieux pour introduire les lampes cassées ? Peut-être qu’ils ont joué avec le laser, se le sont collé dans les yeux et ont provoqué la destruction de l’abri où elles étaient rangées.

“Nous ne faisons jamais autant de changement, mais si on a le sentiment fort que c’est une bonne idée, on ne prive pas.”

Quel est le nom de la décharge de lasers ? On peut finir par changer le nom du personnage de Carl vers Larry afin de nommer la décharge en allitération comme “Larry’s Laser Lair”. A quoi ressemble-t-il, comment parle-t-il ? C’est aussi leur travail.

On essaye aussi de trouver le thème de l’épisode après avoir lu l’outline. Si l’n est conscient de la thématique, nous serons d’autant plus capable de toucher au but. L’épisode est-il centré sur la peur de Rigby de laisser tomber ses amis ? Est-il à propos de Mordecai qui a peur de ne pas être bon dans un domaine où il excelle ?

Ce sont les choses à garder à l’esprit lorsqu’on écrit.

“Aussi, Certains “outline writers” m’ont dit que l’inspiration vient de la vie de tous les jours, donc par incidence j’ai basé cette histoire de spectacle de lasers ennuyeux sur une conversation que j’ai eu avec Minty Lewis

Et voilà ! On dirait une authentique outline !

“Une fois l’outline entre nos mains, l’ensemble du dialogue et les péripéties mineures qui permettent le déroulement de l’intrigue sont faites par les storyboarders. Après que les storyboarders aient écrit les dialogues et dessiné l’action, nous devons la pitcher aux outline writers qui se concentrent sur le fait d’améliorer ce que l’on propose.”

JG Quintel suggère des modifications sur un board.

Le pitch

Au niveau de l’organisation, ça fonctionne de la manière suivante :

1) Trouver un moment dans le planning de JG pour pitcher le board.

2) Punaiser tous les storyboards sur une grande plaque de mousse expansée. Si l’épisode nécessite de la musique, l’un des deux apporte de quoi en diffuser et on décide de comment ils la lanceront en faisant une répétition rapide.

3) Le pitch.

4) La réception des notes.

5) Redessiner et retravailler ce qui a été l’objet des notes et trouver un nouveau moment pour pitcher à nouveau.

6) Répéter de deux à quatre fois mais ces fois-là avec les autres storyboarders présent pour voir ce qu’il en retourne.

7) Faire les révisions et transmettre les boards au département des animatiques.

Il n’est habituellement pas nerveux au moment du pitch, car confiant à 80-90% que ce qu’il a fait est dans la lignée de ce que veut JG. Si ce n’est pas exactement ce qu’il a demandé, c’est au moins dans l’esprit de ce qui faisait l’outline.

“Il y a habituellement une ou deux blagues sur lesquelles Toby Jones et moi nous disons “ehhhhh ils vont probablement vouloir couper ça” parce que ce n’est pas dans le genre de la série que c’est trop abscons ou que sais-je encore. Il y a un épisode dont je me souviens y être allé en pensant “Il n’y a pas moyen qu’ils aiment quoi que ce soit là-dedans, on a vraiment fait des trucs bizarres” mais ils ont en fait adoré et en ont demandé plus. C’est très difficile à deviner.”

Absolument tous les pitchs ont des blagues qui tombent à plat.

“L’une des choses les plus frustrantes est lorsque que ça se passe au tout début de l’histoire, parce que ça va divertir les gens de la suite du déroulement car ils vont vouloir trouver immédiatement une alternative, ce qui leur fait louper d’autres blagues qui arrivent ensuite.”

Et pendant un moment il n’y a que le silence. C’est dur. C’est juste la nature humaine pourtant, c’est ce qui arrive. Ça lui est arrivé aussi alors qu’il regardait le pitch d’autres équipes.

Après le pitch, JG et les autres scénaristes font les cent pas dans la salle et pointent les différents moments dont ils pensent qu’ils doivent être retravaillés. Ça peut être un changement de structure structural change ou une blague à améliorer. Occasionnellement JG va suggérer un changement de design sur un personnage ou un décor.

Il a eu par exemple beaucoup de problèmes à faire le design du satellite dans l’épisode “Sandwich Dans Les WC”. Chaque satellite qu’il dessinait finissait par ressembler à un pénis. Plus il essayait, plus ça ressemblait à un pénis, rien à faire ! Il a tenté de se baser sur une photographie d’araignée pour y arriver puis l’a donné à JG.

Le design final du satellite de l’épisode Sandwich Dans Les WC.

JG a dessiné un design différent du sien et il a utilisé ce dernier.

L’une des choses qu’il préfère le plus est regarder les différents styles de pitch de chacun. Ils ont tous une manière de faire entrer le public dans l’histoire avec le pitch, car c’est autant une performance qu’une présentation.

Il pense que réussir à emmener avec soi son public, même lorsque c’est un groupe de personnes que vous connaissez bien depuis plusieurs années, est la chose la plus importante dans cet exercice.

Il aime beaucoup le style de Toby Jones car ce dernier reste très neutre. Chaque fois qu’il pitche il reste si droit et ne rigole jamais accidentellement lorsqu’il parle. Il est très bon dans ce domaine. Les pitchs de Minty Lewis sont très marrants car l’on croirait écouter un ami vous raconter une histoire drôle. Ça sonne comme une conversation. Madeline Queripel joue l’histoire et bouge beaucoup. C’est comme regarder une actrice.

Benton Connor le ponctue de nombreux effets sonores. Calvin Wong est aussi très neutre, mais Dennis se souviens à peine de ses pitchs parce qu’il adore ses dessins. Ryan Pequin rit parfois lorsqu’il parle, mais il fait de même lorsqu’il intervient dans n’importe quelle conversation.

Quand il pitche, il finis toujours par parler au public en aparté. Il pense que c’est quelque chose que j’ai gardé de ma carrière de professeur afin de garder mes élèves alertes. Du coup lorsqu’il dis son texte ou qu’il montre un dessin, il demande confirmation “Vous voyez, hein ? Vous le savez, vous avez deviné ! JG arrête d’écrire ! Et puis Mordecai fait…”

Toutes ces manières de pitcher fascine grandement Owen Dennis. C’est un côté spécifique qui ressort des gens lors du pitch, bien différent d’une simple conversation avec eux.

Calvin Wong, Benton Connor, l’acteur James Hong, Hilary Florido, Hellen Jo et Toby Jones.

Les Storyboarders

Un grand nombre de storyboaders se sont succédé au long de la centaine d’épisodes déjà diffusés, et certains binômes ont largement contribué à populariser la série, tandis que d’autres n’ont pas eu autant de chance.

Les meilleurs sont partis sur d’autres séries telles Hilary Florido, désormais sur Steven Universe, ou encore Shion Takeuchi, partie sur Souvenirs de Gravity Falls. De même, certains binômes se sont séparés pour trouver un autre partenaire, sans doute à l’initiative de JG Quintel et aussi afin de changer les dynamiques créatives.

On peut tout de même noter dans mes préférés toujours en activité Owen Dennis et Toby Jones, Calvin Wong et Minty Lewis qui sont très bien, même si la série a forcément du mal à recréer la folie des trois premières saisons. A cette époque, certain couples sortaient des palanquées d’épisodes vraiment dingues : je conseille tout ce qu’ont produit Benton Connor et Calvin Wong, c’est de la folie !

Tout comme ce qu’à fait Sean Szeles avec ses différents collègues, d’Hilary Florido à Kat Morris. Que du très bon !  D’autres épisodes ont été récompensés, notamment le mythique Le défi de l’ultime omelette (Eggscellent en version originale) qui a reçu un Emmy Awards bien mérité.

J’espère que vous avez appris quelques petites choses édifiantes avec cet articles, qui démontre que même pour faire une série débile comme Regular Show, du travail comme du talent sont fortement mobilisés !


■ Regular Show   ■ Depuis 2010    ■ Créée par JG Quintel   ■ Diffusée sur Cartoon Network   ■ Avec les voix de Mark Hammill, JG Quintel, Sam Marin, Minty Lewis…   ■ Disponible en vidéo